fire walk with us
jungle gentle jig reviewed by alain féron
Etonnante et captivante est l’écoute de ce CD qui nous transporte dans un monde sonore des plus contemporains alors même qu’il véhicule une essence première, fondatrice, véritablement ontologique, qui nous plonge dans un temps en-deçà du Temps. A son écoute, l’on ressent les racines enfouies de nos origines perdues dans la nuit des millénaires. Car les musiques que Steve Gibbs et Christian Vasseur nous proposent là, recréent le concept de rituel (sans ses fondements légiférés puisque elles ne se réfèrent à aucun rituel spécifique mais les englobent tous). Ce faisant, ces deux artistes renouent avec le sentiment du Sacré (non pas en tant que reliquat de l’esprit religieux mais en tant que condition même de l’humain en ce que ce dernier, depuis le plus loin que l’on puisse remonter dans son évolution, n’a cessé d’être sensible à l’expression de tout ce qui est puissant, effrayant, mystérieux, magique, inexplicable). Ce sentiment du Sacré - qui n’est assurément perceptible qu’implicitement mais qu’aucun discours qui l’induirait ou le supporterait, et qu’aucune surdétermination religieuse n’épuise - s’exprime, ici, en ces plages, avec une évidence et une force qui emportent notre adhésion. Cette « transcendance » assumée, musicalement audible, anime l’univers sonore de ces musiciens sans pour autant que ces derniers ne renient le siècle qui les a vu naître et les techniques de jeu les plus avant-gardistes. Des techniques qu’ils inventent et dont ils se servent comme autant d’outils expressifs mis au service d’un discours et d’une pensée musicale profondément originaux, et non comme une fin esthétique « en soi » dont le but serait la quête inane et stérile de la nouveauté sonore pour elle-même.
Cette musique, « expérimentale », qui traite la guitare et le luth avec autant d’intelligence, d’inventivité que de sensibilité, porte ces instruments en dehors des chemins de confort connus sans aucunement céder à un effet de mode car ces musiciens savent pertinemment que la « mode est et restera indéfiniment… ce qui se démode ». Or leur musique touche, bien au contraire, à l’intemporel ! L’expérience est ainsi surprenante. Et, à travers l’écoute qu’il nous propose, notre oreille se trouve rapidement happée alors que nos sens s’aiguisent en s’éveillant (se réveillant ?) à une vision d’un monde inconnu, pourtant étrangement familier.
Un monde qui nous parle de nous, qui fait écho au moi profond que nous possédons tous mais que nous avons simplement oublié… Un tel CD, rare et précieux, réussit enfin le tour de force de franchir la fragile frontière de l’éthos porteur d’émotion, d’intangible, d’indicible (parce qu’innommable). Un pur diamant noir : à écouter absolument. De mon côté, j’y retourne !
jean-michel van schouwburg dans orynximprovandsounds
Download gratuit qui ravira tous les amateurs de guitare folle, acoustique bien sûr, mais préparée avec on ne sait quel objet (aiguilles à tricoter ?), frottée et résonnante. Steve Gibbs (Bruxelles) et Christian Vasseur (Lille) jouent respectivement de la guitare classique 8 cordes, objets, voix (SG) et de l’archiluth 12 cordes, objets, voix (CV). Tous deux ont un solide pedigree dans le domaine de la guitare classique, contemporaine, du luth baroque etc… et ont un faible pour les extemporisations bruissantes et l’art de transformer leurs vingt cordes combinées en machine à bruit, les réaccorder dans des gammes surprenantes, et d’en jouer avec des objets insolites. S’ajoutent à leur pandémonium leurs voix inintelligibles, des moulinets au bottleneck sarcastiques. Ça frise fréquemment le bordélique, mais avec goût. Comme ce qui ressemble à une harpe déglinguée en glissandi foutraque dans Tottooed Tit Toot, jouée à quatre mains avec une synchronie télépathique. On ne va pas se référer à Derek Bailey, Fred Frith, Keith Rowe , Chadbourne ou Hans Reichel pour faire sérieux ou joli, mais constater qu’ils ont une solide imagination et surtout qu’ils jouent comme si leurs cerveaux, leur imagination et leurs gestes d’instrumentistes et ne faisaient qu’un, du moins se complètent dans leur fantaisie débridée. Sérieux s’abstenir. Chaque pièce offre une musique originale et une démarche différente avec des titres un brin surréaliste. Un super album pour découvrir les cordes pincées autrement. Pincez-vous !